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LES QUATRE DOGUES DU TIBET

Par Pierre Menesplier Lagrange

Article parut dans les premiers numéros de Chien 2000

 

« Le chien de garde ne fait qu’un avec la porte, comme la femme ne fait qu’un avec ses bijoux » dit un proverbe tibétain. Nous allons voir qu’il peut parfaitement s’appliquer à un certain dogue du Tibet. Mais, avant d’aller plus avant, il nous faut débroussailler le terrain et préciser que nous ne parlons ici ni des mâtins ni des molosses, mais seulement des dogues du Tibet. En effet, si les molosses et les dogues ont eu, peut-être, un ancêtre commun, le « boraphagus », il y a longtemps que les deux branches se sont séparées.

Une première difficulté tient à la langue anglaise qui se prête très mal à la distinction entre les différentes races. Par exemple, le standard anglais fait mention du « mastiff » tibétain, ce qui rapprocherait le dogue du « mâtin » tibétain.

Disons fermement que, s’il existe des chiens apparentés à notre dogue du Tibet, ce sont le dogue de Mongolie et le dogue de Mandchourie, leur aïeul commun, étant à peu près certain d’inclure le dogue de Babylonie. Quant aux molosses du Tibet (qui ont donné le molosse du Wakhan, le molosse du Tazig - originaire d’Iran -, le molosse de Lurs, le molosse des Koutchis - nomades Afghans – le molosse d’Epire ou de Macédoine et les molosses de combat romains) ils n’ont rien à voir avec notre sujet puisqu’il faudrait remonter à ce fameux « boraphagus », donc au… déluge.

Contrairement à ce qui a été écrit bien souvent, le chien « grand comme un âne » ne fait pas, non plus, partie de notre sujet. Il trouverait sa place dans un autre article consacré aux molosses himalayens.

Finalement, après avoir « éliminé » les lointains parents, il reste quand même quatre dogues et… beaucoup de noms autochtones pour les différencier. D’une manière générale les Tibétains appelaient les dogues Zang Khyi (bzang = excellent) mais ils distinguaient les types suivants :

-         le GOM KHYI, un chien féroce, dressé pour la guerre. On lui avait appris à différencier les ethnies pour chasser une certaine catégorie d’hommes. Il pesait environ 100 kg et avait les jambes un peu arquées, les Chinois l’appelaient « ngao » ou « ao ». Il avait à peu près la taille d’un autre dogue qu’on verra plus loin (le dho khyi r’apsoo avec lequel il est souvent confondu sous le nom de sang khyi). On peu parier que les « Meunes », qui sont les « esclaves » du Tibet, ont souvent fait les frais de ses crocs.

C’était le chien des « rGod » (guerriers) et des « sGar » (campements militaires).

On peut situer l’utilisation de ce type de dogue au temps de la première des trois religions qui se sont succédées au Tibet, le « mi-chos » ou la religion des hommes. Ce chien vivait alors dans les régions du Zothang et du Powa.

Apparemment, il n’existe plus de purs Gom Khyi, du moins dans le Tibet proprement dit, mais il en subsisterait quelques uns dans le Pamir

 

-         le SGO KHYI (sGo = porte) est certainement à l’origine du proverbe cité au début de notre propos. Il a dû bien gêner, entre autre, Madame David Neel lors de ses pérégrinations tibétaines… Pour le rendre encore plus terrible, on lui paraît le cou de queues de yaks teintes en rouge, ces fameuses queues de yaks utilisées à la fabrication des perruques des juges Anglais.

Mais ce dogue n’était pas seulement réservé aux « shing sGo can » (ceux qui ont des portes de bois) ; les bergers ou « dokpas » l’utilisaient aussi pour garder les troupeaux. Il s’appelait alors « nag khyi » (nag = bétail), les caravaniers l’avaient adopté aussi et l’on peut dire qu’il  était le chien des « bangs su’Khel » ou « gens du commun », ce qui explique qu’il a une multitude de noms : « dzi khyi » (dzi = gardien), « bothia » (qui veut dire tout simplement « tibétain »), sans compter les noms chinois de « tsang kou » (chien du Tsang) ou « man kou » (chien des barbares)… ce qui montre l’estime que les Chinois portent aux Tibétains. Bien que plus petit que le Gom Khyi, le Sgo Khyi pèse environ 60 KG. Sa queue se déroule parfois et ses oreilles peuvent se redresser.

-         le RGAI KHYI, qui signifie « chien royal ». On se doute qu’avec un nom pareil il était le dogue le plus apprécié, celui qui, bien soigné, honorait par sa prestance les maisons de quelque importance. Pour conserver la puissance de sa voix on lui donnait de la bile d’ours mais on évitait le sel qui « éraille les cordes vocales ». Grâce aux soins qu’on lui prodiguait il vivait beaucoup plus longtemps que les sGo Khyi (ou nag khyi) que l’on nommait aussi « chien neuf » parce qu’il n’atteignait que rarement l’âge de neuf ans.

Sa tête très importante et son poids, de 70 à 80 kg, ont fortement contribué au prestige du rGai Khyi. Sa queue, solidement enroulée, est « indécrochable » et ses oreilles restent toujours tombantes.

-         le MANG KHYI (mang = poilu) a une fourrure beaucoup plus développée que celle des dogues déjà cités. C’est le dogue d’altitude. Pour les Chinois il était tout simplement un « ta chung kou » c'est-à-dire un « chien de grande espèce ». En revanche, les Tibétains étaient particulièrement sensibles à l’abondance de son poil, caractéristique très appréciée au Tibet comme le prouve le nombre important de mots en langue tibétaine pour désigner la toison : « pou », mot assiro-tinétain, « sabatampa » pour une toison soyeuse, « ta » pour une toison un peu plus rêche, sans oublier, bien sûr, « r’apsoo » qui signifie « poil de chèvre ». Le Mang Khyi est un peu plus petit que le rgyal mais, comme lui, son front est très ridé, même si cela se voit moins. Une face lisse est d’ailleurs très peu appréciée. D’autres rides obliques vont des yeux aux mâchoires qui possèdent des lèvres très pendantes. C’est un chien d’allure solennelle qui porte bien ses fanons et possède un os occipital dit « en pain de sucre ». Ce chien râblé peut atteindre 90 kg. Sa queue et ses oreilles restent bien en place comme chez le rgal khyi, les conjonctives très obliques lui donnent un regard très « oriental ».

On peut imaginer que ces quatre dogues sont aussi différents sur le plan physique que du point de vue comportemental. C’est pourquoi, il n’est ni étonnant ni contradictoire de lire quelquefois que le dogue du Tibet pèse 100 ou 60 kg, que c’est un chien féroce ou bonnasse et majestueux. Il s’agit de savoir de quel dogue on veut parler !

On pourrait même croire qu’il existe encore d’autres variétés de dogues, comme le « chang khyi » (écrit « spang »). Ce mot veut dire en réalité « loup » mais il est souvent appliqué aux dogues.

Toutefois, il existe bien un cinquième dogue, considéré plutôt comme un bull dog : le sGo khyi. On retrouvait souvent son image sur les portes des maisons de « tolérance ». Cela signifiait « défense d’entrer ». Mais il était également représenté à l’intérieur des portes des prisons et voulait dire, est-il besoin de la préciser : « défense de sortir » ! Le nom de ce bull est « p’ingnan ».

Au point de vue couleur de robes, les dogues peuvent avoir toutes les couleurs, mais un gardien de mouton n’apprécie pas que son chien soit blanc, risquant ainsi de le confondre avec son bétail et dans une région à renard on préfère une autre couleur que le roux.

Sur le plan régional, il y avait de grandes tendances : ainsi au royaume de Lho (le Mustang), les dogues sont en général acajou, au Bhoutan ils sont blancs avec une collerette noire on les appelle alors « dam-ci ».

Deux lunules oculaires sont très appréciées, en revanche, un bout de queue blanc est considéré comme diabolique et doit être amputé !

Il faut encore dire un mot du DHO KHYI r’APSOO. Si le nom dhokhyi sert parfois de nom générique pour les dogues, le « dho khyi r’apsoo est un autre chien : c’est un superbe mâtin à poil long, très apprécié, mais qui a semé l’équivoque parmi les connaisseurs, le revue américaine « Dog World », dans un article récent, déplore que le « dho khyi r’apsoo » n’a pas encore son standard bien que ce soit un chien très recherché. Il s’agit d’un molosse vivant à très haute altitude et qu’on a souvent comparé à un âne pour la taille. Mais il faut savoir – et cela change tout – que l’âne tibétain, qu’on appelle « kiang » mesure entre 1m et 1,20 m de hauteur.

les photos sont généreusement fournies par Mme PILAT