les   articles

les   articles

 

retour

 

 

CHIENS SACRES OU SACRES CHIENS

Par Pierre Menesplier Lagrange (1995)

 

On a écrit de nombreux livres sur les chiens du Tibet, mais on a très peu parlé de ce qui les relie tous : le patrimoine que nous a légué la civilisation tibétaine.

Pour plus de clarté on peu diviser ce patrimoine en deux parties :

-         la place du chien dans la civilisation tibétaine

-         la notion de race et de lignée dans la culture tibétaine 

Pour couper court à toutes les « idées qui traînent » il nous faut d’abord affirmer que de procéder ainsi n’est pas faire de « l’occidentalisme ». On a beaucoup trop opposé un Orient qui rêve, un Orient d’images à un Occident soit disant rationnel. 

Les Japonais viennent de nous donner un démenti en déclarant leurs races « patrimoine national ».

Quant aux Tibétains, on ne peut trouver un peuple plus classificateur et on a même pu dire qu’ils ont élevé la raison discriminatoire au rang de religion.

 En fait, c’est un reste d’esprit colonial que je veux bien considérer comme inconscient, qui nous fait croire qu’il n’y eut qu’un Descartes et qu’il ne pouvait être que de notre côté même si la rationalité orientale se cache quelques fois sous des images.

PLACE DU CHIEN DANS LA CIVILISATION TIBETAINE

Grâce au Bouddhisme, la civilisation tibétaine est finalement très humble et ne considère l’homme que transitoirement supérieur.

Évidemment, on n’a jamais eu à se poser la question de savoir si les chiens avaient une âme dans un pays où l’on n’admet pas l’existence d’une âme personnelle et permanente !

Il n’y avait donc pas d’hésitation à classer les chiens au milieu de tous les êtres vivants y compris l’homme. On comprendra très bien que dans un pays qui a de si grandes différences d’altitudes, la classification des êtres vivants soit faite suivant la hauteur. Les deux extrêmes de cette classification sont donc : l’aigle qui vole au dessus des montagnes et le poisson qui est sous la surface de l’eau. L’homme, tout comme le chien, se trouvent dans une position médiane sanas qu’il soit question, comme chez nous, d’une différence de nature irréductible. C’est pourquoi, au Tibet, les animaux sont respectés comme si les Tibétains étaient des disciples de Saint François d’Assise. Il ne s’agit pas spécialement de « chiens sacrés » mais du respect général dû à la création.

LA NOTION DE RACE ET DE LIGNEE DANS LA CULTURE TIBETAINE

 Attachons-nous, d’abord, à la notion de race.

Comme il tombe sous le sens, la première division tibétaine est le volume « Khyitchenpo » pour les chiens de grand gabarit et « Lagshkyi » (chiens de mains) pour ceux que l’on peut porter. Cette dernière catégorie se subdivisant encore selon la taille : « khyitchogsay » pour les chiens qui passe sous la table (table basse tibétaine) et ceux qui n’y passe pas.

Autre division logique : l’utilité. Les Tibétains distinguaient « ceux qui rapportaient la viande » ou « shakhyi » (chiens de chasse) et ceux de garde. Les chiens de garde ayant eux aussi leurs subdivisions : ceux qui gardent les portes de feutre « chhingogocam » et ceux qui gardent les portes de bois. C'est-à-dire les chiens de pasteurs nomades (nagkhyi = chiens de bétail) et les chiens de cultivateurs sédentaires.

Autre division liée à l’homme : le chien des hommes des vallées basses « rongpa » les chiens des hommes des bois « shihmi » et le chien d’altitude. 

Autre utlité, il y avait même le chien de guerre « Codkhyi », chien à la source de nombreuses légendes (on pensait, entre autre que le Panchen Lama, à Tashi Lumpo, en possédait une énorme meute, ce qui le rendait inaccessible). 

Enfin, dernier genre d’utilité, le chien fossoyeur qui partageait son travail avec les vautours. 

Les Tibétains avaient encore une distinction selon le caractère : le chien féroce (et on voulait qu’il le reste), le chien fatigué parce que lent, le chien réservé et le chien « singe » parce qu’agité. 

Même les différences de voix étaient répertoriées : voix de sentinelle pour le lhassa apso et voix d’ours pour le dogue, voix qu’il fallait maintenir pas des soins appropriés. 

Quant aux origines des chiens, elles étaient précisées : chiens Nord Kun Lun « chang kun lun » pour ceux qui devaient leurs origines en partie à la Mongolie, « lhokhyi » pour ceux du Sud. Un biotope précis, une vallée effondrée est même spécifiée dans le cas du terrier du Tibet et le cours du Tsangpo pour l’épagneul.  

N’oublions pas, évidemment, la différenciation selon les poils, si appréciées chez nos chiens tibétains. Cela allait du « mangkhyi » (poilus) en passant par le célèbre « rapso » jusqu’au « jemtse » (tailladé).

Les Tibétains, explorant toutes les faces de la question, se sont encore penchés sur la longévité : ils séparaient les chiens à courte vie « tse-toung » et les chiens à longue espérance de vie « tse-ring ». 

En additionnant toutes ces caractéristiques : poids, volume, hauteur, utilité, voix, poils, longévité, provenance, altitude et caractère ne finit-on pas par affirmer le portrait d’une race ? Il existe même des standards qui ne comportent pas tous ces aspects. Nous pouvons donc affirmer que les Tibétains avaient une notion très globale de la race. Voyons maintenant ce qu’il en est des lignées. 

« RÜKHO » - « SHA »

La première grande distinction tibétaine se fait par opposition. C'est-à-dire « rükho » (de même os) ce qui désigne la parenté en ligne agnatique (paternelle) alors que la parenté en ligne cognatique (maternelle) est désignée par « sha », c'est-à-dire chaire comme dans le nom du chien de chasse (shakhyi), les chiens de « même os » étaient très appréciés.

 « DUNG MA »

Mais les Tibétains n’en sont pas restés là. Ils appréciaient aussi les croisements collatéraux « dung ma » ce qui veut dire poutre, « parce qu’un bon croisement soutien la race comme la poutre soutien la maison ». Ils subdivisaient ces croisements entre poutre principale et poutre oblique (croisement de croisement). 

N’est-ce pas là avoir une notion de lignée ? 

D’ailleurs pour les chiens aussi bien répertoriés, ils avaient un nom spécifique « sim khyi » qui est la forme honorifique du mot chien que nous pourrions comparer à notre qualificatif « excellent ».

Ainsi les Tibétains nous rejoignaient sur tous les plans dans le domaine canin et je tiens la fameuse assertion de Rudyard Kipling : « l’Orient et l’Orient, l’Occident est l’Occident et ne se rencontre jamais » comme la plus fallacieuse au monde et cela n’est pas moins merveilleux.

Nb : dans notre civilisation nous n’avons pas procédé autrement pour écrire les Evangiles. On a pris un « agrapha » (ou dicte) puis un autre…. Et l’ensemble des ces « agraphon » a fait les Evangiles.